Et là je me pose une question "À quoi ça sert ?". Les nuances capturées de la respiration de Joel, ça veut dire quoi ? Cela apporte-t-il du sens ? C'est quoi la plus-value ? Pourquoi ne pas directement filmer des vrais acteurs si c'est pour les reproduire aussi fidèlement, si c'est pour les photocopier ? Surtout qu'au cinéma, on s'en fiche mais genre total du mouvement de la chemise d'un type qui dort.
À l'époque de la PS1 les cinématiques en imagerie de synthèse étaient généralement vécues comme une récompense de la part du joueur. Je me suis demandé pourquoi je ressentais ça à l'époque, pour finir par trouver une réponse en jouant au remake de Final Fantasy Tactics sur PSP, qui jouit de nouvelles cinématiques. Je pense que c'est tout simplement parce que le jeu, dans le sens phases jouables, ne possédait pas les ressources nécessaires pour exprimer visuellement la vision des créateurs. Les personnages étaient très grossièrement modélisés, avec des visages tout aussi grossiers. Puis débarquait la cinématique qui elle exprimait la vision des créateurs plus fidèment ; visages plus expressifs, possibilité de faire s'exprimer le corps. C'était merveilleux. Ça ne se limitait pas à un émerveillement du seul fait de la technologie, c'était magique. C'était le cadeau.
Par contre aujourd'hui c'est le contraire. La technologie super coûteuse utilisée sur L.A. Noire m'a finalement pas très convaincu. Les cinématiques de TLOU me laissent de marbre. Au fond je dirai que plus le jeu cherche à impressionner par sa maîtrise technique, moins j'en vois la pertinence et plus je m'en fiche. Et le style dans tout ça ? Comment ça se fait que le jeu vidéo AAA actuel vise absolument le photo-réalisme, là où les BDs s'exprime dans tant de styles différents, même quand elles racontent des histoires réalistes ?
Il y a une époque où le jeu vidéo avait besoin de capturer des nuances élémentaires pour exprimer des émotions, et donc d'évoluer technologiquement, mais aussi de trouver des moyens bâtards pour s'exprimer. Ça fonctionnait. Mais aujourd'hui, entre un froncement de sourcil fait main dans The Walking Dead, et un capturé par dix milles capteurs de la NASA dans le prochain ND ou David Cage, elle est où la différence ? Très simple, l'un a du style.
La pertinence d'une émotion exprimée ne sera jamais supplantée par un jeu mauvais possédant un budget énorme pour retranscrire des nuances de nuances dont on se fiche royalement et qui n'ont pas de sens. Pourtant une partie des devs a l'air de le penser. Inutile, donc nuisible, disait Victor Hugo.
En se détournant du sens pour se focaliser sur des détails qui au fond se résume à un concours de qui pisse le plus loin, le jeu vidéo s'enfonce dans un gouffre financier. Avec du style, des choix artistiques, combien de polygones économisés ? D'effets spéciaux en moins en éclairages ? De qualités de textures ? Et combien alors on gagne en profondeur de champ, en ressources pour l'IA, en quantité d'éléments affichables ? Bref en atouts qui servent vraiment le jeu, et non l'orgueil des créateurs ?.
Mais surtout, il faut se demander si la cinématique est encore pertinente aujourd'hui, d'autant qu'elle a tendance à envahir l'espace de jeu pour devenir la seule forme d'expression. À tous ces devs frustrés de ne pas faire du cinéma, il faudrait leur rappeller qu'ils ont à disposition un nombre incroyable de possibilités pour raconter une histoire, en plus du gameplay avec lequel on peut dire tant de choses, et avec lequel ils disent si peu.